Après de nombreux revirements, les stations de ski n’ont pas pu ouvrir leurs remontées mécaniques cet hiver. Privées de leur moteur économique, le ski alpin, pour la première fois de leur histoire, comment ont-elles vécu cet hiver ? Quelles conclusions pouvons-nous tirer pour l’avenir ?
Nous avons tendu notre micro à Benjamin Blanc, directeur de la Régie des pistes de la Vallée des Belleville (avec les stations de Val Thorens, Les Menuires, Saint Martin) et Thomas Gauthier, maitre de conférence à l’EM Lyon spécialisé dans la prospective et le changement.
Après avoir traversé un front de neige quasi-désert à la veille des vacances scolaires, nous entrons dans le vif du sujet en demandant à Benjamin comment il a vécu cette saison compliquée : “Comme un Tour de France ! Avec des étapes de montagne très dures, des étapes de plaine, des “contre la montre… les étapes ont été franchies les unes après les autres sans savoir quel était le tracé de l’étape suivante. Et c’est ça qui a été le plus difficile : être dans l’attente des décisions gouvernementales.”
Il en a profité pour se “consacrer à l’après, on a travaillé sur des plans de formation pour nos salariés, des choses qu’on n’a jamais pris le temps de mettre en place. On a travaillé sur des procédures, etc… travailler sur l’avenir et préparer la saison prochaine !”
Cette saison particulière aura aussi permis de travailler différemment pour “se réinventer sur de nouvelles activités, trouver des solutions juridiques pour pouvoir proposer ces activités. On le fait d’autant plus sérieusement parce qu’on est sûrs que, dans les prochaines années, les gens qui ont goûté à ce genre d’activités en voudront encore. C’est une formidable opportunité de fidéliser notre clientèle, comme par exemple avec le ski de randonnée.”
Pour lui, “le ski alpin restera le moteur économique de la montagne en hiver, pendant les quinze prochaines années au moins, mais il faut se préparer maintenant à ce qui viendra après !”
Aujourd’hui, les professionnels du ski sont “épuisés et inquiets” mais la situation ouvre des perspectives : “adaptabilité et ouverture d’esprit pour sentir les tendances” seront essentielles pour les stations.
« Le changement ne pourra se faire que de façon collective. »
témoigne Thomas Gauthier
Nous avons ensuite tendu notre micro à Thomas Gauthier, professeur à l’EM Lyon. Thomas est spécialiste de la prospective et des futurs désirables (vous noterez le pluriel). Il explore comment les organisations peuvent s’appuyer sur les futurs pour naviguer dans l’incertitude.
Pour lui, “la difficulté principale que rencontrent les acteurs des stations de montagne c’est qu’ils s’attendaient à un futur officiel que la pandémie a interrompu brutalement, ce qu’on vit actuellement c’est des acteurs des stations de montagne qui ont du mal à s’extraire de ce futur officiel pour réfléchir autrement. Il faut faire ce travail collectivement, ce qui aujourd’hui est difficile. Or des coalitions seraient les seules formes organisées qui pourraient permettre à des futurs alternatifs d’advenir. La pandémie nous amène à penser la limite du contrôle qu’on peut avoir sur la nature.”
De son point de vue, les pistes d’évolution ou les outils pour avancer sont liés à l’organisation d’un collectif pour pouvoir réfléchir et travailler ensemble. “Dans le niveau de turbulence incroyable dans lequel sont plongés les acteurs de la montagne, l’action d’un seul acteur économique n’est pas envisageable. Il faut produire de la valeur à plusieurs… pour stabiliser son environnement. L’action collective est le seul moyen d’agir en turbulence pour regagner sa capacité à imprimer son empreinte”.
C’est en travaillant collectivement et en réfléchissant à l’après, que la montagne pourra conduire une transition durable. Cette démarche est celle portée par le LaMA Project, laboratoire pour une montagne d’avenir. La montagne est riche de futurs différents, c’est maintenant qu’il faut les créer.
Texte : Clothilde Drouet