La montagne s’effondre. Littéralement. Des pans entiers se détachent tous les étés. Des courses d’alpinisme, disparaissent. Les gares d’arrivée des téléphériques sont fragilisées. Les responsables ? La fonte du permafrost (ou pergélisol, en français). Or quand la montagne s’effrite, c’est tout un écosystème qui tremble. Heidi Sevestre (glaciologue), Tristan Knoertzer (guide de haute-montagne à Chamonix) et Mathieu Camus (responsable montagne pour SAGE, spécialiste du BTP) sont en première ligne pour constater les dégâts.
« Le permafrost est un état thermique, le sol est gelé en permanence, toute l’année. Le Permafrost va ainsi agir comme un ciment, comme une glu, pour nos montagnes, tenant toutes les roches entre elles », explique Heïdi Sevestre. « En face nord, on a du permafrost qui descend jusqu’à 2500 mètres. En face sud c’est au-dessus de 3000 mètres d’altitude. Le permafrost est essentiel parce qu’il permet de maintenir les montagnes solides. »
Mais avec le réchauffement climatique, le permafrost fond et les montagnes sont déstabilisées. « Le permafrost est très affecté par l’élévation des températures, surtout dans les Alpes. On sait que les Alpes se réchauffent deux fois plus vite que le reste de la France. Et quand on dépasse 0°C ça crée toute une batterie de conséquences, notamment des roches qui se décrochent. C’est terrible de voir comment cela impacte notre pratique de la montagne… »
Ce n’est pas seulement dans nos montagnes que la liquéfaction du permafrost a des conséquences désastreuses, on le constate sur la planète entière. « Le permafrost, notamment en Sibérie, renferme énormément de matière organique et quand il fond ça relâche beaucoup de gaz à effet de serre. Donc le permafrost fond parce que les températures augmentent à cause du réchauffement climatique, et cette fonte amplifie le phénomène en rajoutant du gaz à effet de serre dans l’atmosphère ».
Sans réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, la disparition du Permafrost est inévitable. « Une étude vient de confirmer que nous sommes sur la pire trajectoire en termes de réchauffement climatique. Notre permafrost, il faut le garder gelé le plus longtemps possible ! », poursuit-elle.
Comment ralentir la fonte ? « Une seule solution marcherait sur le long terme : réduire de nos émissions de gaz à effet de serre le plus vite possible. Il y a une latence dans le climat, donc les actions positives qu’on met en œuvre aujourd’hui auront des effets dans la seconde moitié du siècle. Nous avons un challenge monumental devant nous on ne peut pas se permettre de baisser les bras. Au contraire ! Si on veut garder la vie de nos montagnes alpines… il faut agir maintenant. »
Avec vue sur le Glacier des Bossons, nous tendons le micro à Tristan Knoertzer, guide à la Compagnie des Guides de Chamonix. Il assiste quotidiennement aux conséquences de la fonte du Permafrost.
« Je l’ai vécu au trident du Tacul : une voie est tout simplement tombée, 48h après notre passage. Les trois premières longueurs ont disparu. »
témoigne Tristan.
« Il y a des voies que je ne fais plus qu’en hiver… Sur des voies classiques comme l’arête des Cosmiques, des pans entiers sont tombés ! Dans ma formation d’aspirant-guide, un intervenant (Ludovic Ravanel) nous avait prévenu : « vous connaitrez l’Aiguille du Midi avec l’aire d’arrivée qui ne sera pas au même endroit. Vous verrez ça en tant que vieux guide vers vos 70 ans ». Aujourd’hui je pense que je le verrais plutôt dans 10 ou 15 ans. »
Si la Mer de Glace est un baromètre du réchauffement climatique, l’Aiguille du Midi est un marqueur de la fonte du permafrost : « leurs capteurs montre que tout bouge là-haut et chaque année ils doivent rajouter des barres de ciment… Quand je lis les analyses, j’ai du mal à croire que le téléphérique de l’Aiguille du Midi va rester comme ça encore une cinquantaine d’années. »
Même si l’activité des Guides devra évoluer pour s’adapter, Tristan reste confiant. « Ça fait 200 ans que les guides s’adaptent aux conditions de montagne. Tant que les montagnes seront là on continuera de les grimper. On adaptera notre manière. Par exemple, depuis des années les saisons de pratique se décalent donc il faut réadapter les zones et dates d’ouverture des remontées mécaniques. A chaque époque sa problématique, on n’a pas le droit de tomber du côté anxiogène. »
Enfin ce phénomène de fonte du Permafrost concerne particulièrement les activités des stations de ski car il fragilise l’implantation des pylônes et des gares d’arrivée des remontées mécaniques. Mathieu Camus, responsable du pôle montagne de SAGE Ingénierie (spécialiste de la consolidation des remontées) nous explique comment : « Ça fait plus d’une dizaine d’années qu’on est confronté à ces problématiques. Les stations les plus concernées sont celles jusqu’à 2500-3000 mètres d’altitude et les versants nord, parce que les versants sud ont déjà perdu une partie de la glace interstitielle. »
Les conséquences de la disparition du Permafrost des montagnes sont bien visibles : « ce sont des affaissements ponctuels dans le terrain, dans les éboulis et puis sur les infrastructures (pylônes, gares d’arrivée) où les exploitants sont confrontés à des mouvements, des déviations qui posent des problèmes de maintenance des ouvrages. Dès qu’il y a un décalage, les mécaniques des gares doivent être ajustées. »
Ces effets peuvent être contrés par la consolidation de l’existant ou par le changement des infrastructures et parfois leur déplacement sur un terrain plus solide. Conforter une gare de téléphérique existante peut ainsi coûter entre 500 000 € et 1 million €. Et ce budget ne va pas aller en diminuant !
Ce n’est pas demain que nous verrons les effets des premières mesures de réduction des émissions carbones (encore faudrait-il qu’elles soient appliquées)… alors persévérons et adaptons-nous !
Texte : Clothilde Drouet