S2 Episode #3 – Matériel outdoor : produire localement, c’est possible ?

Avant même l’arrivée de notre fameux « accélérateur à emmerdes » (©Benjamin Blanc) qu’est le Covid, une tendance se dessinait : le retour à une production proche (France et Europe). Start-ups et acteurs majeurs cherchent à jouer la carte du local. Est-ce vraiment possible ? Et à quelles conditions ? Au micro pour nous éclairer : Julien Durant (Picture), Vincent Defrasne (Ayaq), Gilles Réguillon (Chamatex) et Grégory Pessey (Jonathan & Fletcher).

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Picture revendique depuis sa création sa volonté de créer des produits respectueux de leur environnement mais ne produit pas en France (à l’exception de tours de cou) et peu en Europe (son usine historique étant en Turquie). A travers l’exemple d’un tee-shirt en coton certifié bio, Julien explique la « cascade de marges » et pourquoi Picture ne produit pas en France. « Un tee-shirt en coton nous l’achetons en usine 7,50€, on le vend 13€ au magasin qui l’étiquette 30€ pour le consommateur final. Sur ces 30€ il y a déjà 6€ de TVA donc en réalité il le vend 24 et, là dessus l’entreprise paie toutes ses charges fixes (loyer, salaires des vendeurs etc.)… Ce système à 3 échelles fait que d’un produit à 7,50€ il finit à 30€ dans les rayons. »

Une marque française qui développe des produits emploie des designers, des modélistes, des chefs de produits, des commerciaux, des communicants et elle permet aux magasins de travailler. Julien différencie le lieu de production de la valeur générée par le cycle de vente dans son entier : «  ce qui crée de l’emploi, ce qui crée de la taxe, ce qui crée de l’impôt pour notre Etat, c’est la valeur (…) sur les 7,50€ du tee-shirt, l’usine gagne 3€. En revanche derrière la marque qui vend gagne 6€, paie des impôts et le magasin en France paie des employés et des impôts. Donc la valeur générée sert à financer de l’emploi, de l’immobilier, de l’impôt, de la taxe. Il y a un enjeu de production (qui est un enjeu environnemental à produire près du lieu où on vend) mais aussi un enjeu de valeur. »

En conclusion : « Ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier et imaginer un modèle économique différent avec de la production locale en vente directe, ça peut être aussi un élément qui sécurise l’entreprise, ses emplois, ses détaillants et ses partenaires. »

Photo de Julien Durant Picture
Julien Durant, Picture

Si le modèle Picture, basé sur le volume tout en maintenant des prix accessibles avec des matières plus respectueuses de l’environnement, ne permet pas de produire localement, de nouvelles marques se créent aujourd’hui, avec dans leur ADN une fabrication locale à l’échelle européenne. C’est l’objectif de la marque de vêtements de ski de randonnée, Ayaq, qui vient d’être créée par Vincent Defrasne, ancien biathlète champion olympique. 

« L’usine avec laquelle on va travailler est au Portugal, on n’a pas trouvé plus près. Nous n’avons pas trouvé en France aujourd’hui la technicité nécessaire à des vêtements durables et performants. » Vincent choisit de produire en Europe pour « diminuer les distances », « le fil de polyester est produit vers Turin, envoyé en France pour être tissé puis il est confectionné au Portugal. Ce qui, dans l’univers du textile, est un cycle très court ». 

En terme de coût pour le consommateur, les produits proposés par Vincent sont de moyenne voire haut de gamme. L’objectif étant de « faire des vêtements exigeants et de qualité, avec la contrainte de la production locale… Donc tout ça mis bout à bout donne un vêtement performant au niveau environnemental et ça a un certain prix (…) Dès le début et pour toujours, ce qu’on veut c’est limiter les impacts environnementaux de la marque et de ses vêtements. Et le côté transport, des vêtements, des matières est l’un des gros enjeux ».

Produire de façon plus raisonnée, c’est également sourcer des matières en local. Gilles Réguillon dirige Chamatex, c’est un industriel spécialisé dans les tissus techniques, fabriqués en France, pour le secteur de l’ameublement ou de l’outdoor. Il fabrique donc une matière première de l’outdoor. Son produit-phare, un tissu breveté utilisé sur les chaussures de running s’appelle Matryx.

Gilles revient sur la hausse de la demande pour une fabrication en France, « la nouvelle génération est de plus en plus sensible à ce côté, made in France. » Comment faire pour proposer du Made in France accessible à tous ? « Il faut imaginer de nouvelles façons de produire. L’automatisation est l’un de ces leviers pour diminuer les coûts. Il faut avoir une cadence suffisamment importante pour amortir au maximum les investissements. » Non seulement c’est possible mais Gilles Réguillon y croit et y investit fortement. Ainsi, la nouvelle usine que Chamatex ouvrira en 2021 permettra de produire en France des chaussures de sport à un coût raisonnable

Les avantages de la production en local ou en France, ne se limitent pas à la création d’emploi, cela apporte également une agilité certaine dans le développement des produits. « le délai, la qualité, la flexibilité, tout ça on ne peut l’avoir que quand on a un site de production à côté de la R&D. »

« Aujourd’hui, plus on va loin dans la maitrise de la fabrication plus on maîtrise son destin »

Pour finir, nous sommes allés à la rencontre de Gregory Pessey de Jonathan & Fletcher. Ce studio de design créé en 1984, propose un service de recherche et développement de produits pour les marques, de l’idée du produit à sa production, en passant par la recherche des matières. Pour Grégory, la production en France « était déjà un sujet de discussion à la création du studio ! On parlait même d’euromade. Cette crise révèle une réalité : on a délocalisé énormément nos savoir-faire et quand les pays dans lesquels on a placé nos savoir-faire et nos productions, s’arrêtent, le reste du monde s’arrête. On n’est plus capables d’avoir des téléphones, du textile, des médicaments ni même des masques ! Quand on exporte ses savoir-faire, on exporte aussi le contrôle qu’on a sur ces savoir-faire. Aujourd’hui on se rend compte que certaines marques ne sont plus propriétaires de leur patrimoine de marque (le patronage par exemple)… Du coup, pour relocaliser leur production en Europe elles doivent repasser par la case de développement… »

Quand la France s’habillait encore toute seule (1956)


Le mouvement de relocalisation en France est, pour Grégory, « complètement réaliste. Les grandes marques veulent rapatrier une partie de leur production pour plus de contrôle, plus de sens et arrêter la surproduction. Il est possible de produire en France, en Italie, en Roumanie, au Portugal, en Pologne… des pays disposant d’un bon savoir-faire, de très beaux ateliers. Les jeunes sociétés qui se créent post-Covid, se disent « on doit être en mesure de produire des séries en France, peut être des plus petites séries… ça permet de faire du test & learn pour permettre au produit d’évoluer en fonction du retour du consommateur. Au final, c’est beaucoup plus juste, avec plus de sens ». Il conclue ainsi : « la production en France, oui pour du produit à forte valeur ajoutée. Il y a de très belles maisons qui savent fabriquer en Europe ». 

Qu’en dit le consommateur ? Est-il prêt à accompagner ce mouvement de relocalisation ? Ce sera nécessaire pour changer les choses, insiste Julien Durant : « le consommateur a un droit de vie ou de mort sur un produit avec son porte-monnaie. Si aujourd’hui il dépense de l’argent dans des choses qui n’ont pas de sens et qui viennent de l’autre bout du monde, ça veut dire qu’il s’en fout. Si à l’inverse il ne dépense que dans ce qui a du sens, à ce moment là les bases changeront. Le pouvoir est dans les mains du consommateur. » 

On pourrait nuancer en précisant que le consommateur ne peut consommer que ce qu’on lui propose à la vente. Malgré tout, il s’agit bien d’un défi impliquant tout le système économique tel qu’il est organisé aujourd’hui… et chaque acteur de ce système détient une partie de la solution.  

Texte : Clothilde Drouet


Ressources complémentaires

Page Made in France sur le site de Picture

Les vêtements « Ayaq « nouveau défi pour Vincent Defrasne
Site Jonathan & Fletcher